Histoire
La petite histoire d'un quartier uni à travers le temps et les transformations
Jeanne-Mance
Merci aux Archives de la Ville de Montréal.
C’est pour saluer l’oeuvre humanitaire de Jeanne Mance, femme d’exception et cofondatrice de Ville-Marie, que le site porte son nom.
1642 | 1700
Jeanne-Mance et Ville-Marie
Paul Chomedey de Maisonneuve et Jeanne Mance fondent la colonie de Ville-Marie (ancien nom de Montréal). Jeanne Mance a pour mission de fonder un hôpital et d’administrer les finances de la colonie.
Le chemin de Saint-Laurent se développe pour permettre l’agriculture. Ainsi, les terres situées sur le site actuel des HJM sont d’abord défrichées et cultivées.
1763 | 1849
Passage d’un quartier canadien-français à un quartier multiethnique avec l’immigration massive d’anglo-saxons et de loyalistes américains. Fruits des efforts agricoles des décennies précédentes, deux vergers abondants nourrissent le quartier de pommes, cerises et prunes.
1850 | 1879
Le grand feu ravageur de 1852 force le passage à la brique et à la pierre. Le quartier est de plus en plus dynamique et présente une vitalité économique et une vie culturelle riche. Il attire des individus de renom comme William Footner, concepteur du marché Bonsecours.
1880 | 1929
Le site des HJM se trouve alors au cœur du quartier francophone Saint-Louis qui voit naître une vie multiculturelle foisonnante et une offre commerciale diversifiée. D’abord avec la croissance de la communauté juive, la plupart en provenance de l’Europe de l’Est puis avec l’arrivée des immigrants chinois.
On retrouve alors sur le site une école et une synagogue juive fréquentée par le rabbin Zvi Hirsch Cohen, grand-père du poète et chanteur Léonard-Cohen.
La présence de la communauté slovaque est telle qu’un élève sur cinq est d’origine tchécoslovaque. À l’emplacement actuel du 130 rue Ontario se trouve le « Slovak Club » (1940).
À l’emplacement actuel du 200 rue Ontario se trouvent à l’époque les écuries du journal La Patrie, car la livraison des journaux s’effectue à l’aide de voitures à cheval (1917).
1930 | 1949
Le Redlight
La Crise de 1929, puis la guerre entraînent une baisse importante de la construction à Montréal alors que les besoins en matière d’habitation ne vont pas en s’amenuisant. Une véritable crise du logement s’installe entre les années 1930 et 1940.
Le quartier Saint-Louis, où sont situées les HJM, est l’un des seuls quartiers résidentiels du Centre-ville. Tandis que les grandes artères se développent – le boulevard Saint-Laurent et la rue Sainte-Catherine – il est occupé principalement par des familles ouvrières et de petits commerçants. La nuit, l’atmosphère du quartier se transforme du tout au tout. Les cabarets, les salles de spectacles et les salles de jeu offrent un divertissement nocturne pour adultes. Les activités illicites contrôlées par la mafia et le crime organisé contribuent à faire connaître le quartier sous le nom de RedLight.
La ville de Montréal est alors dans un piteux état. On constate que de plus en plus de personnes ont de la difficulté à se loger, notamment parce que plusieurs immeubles sont devenus des taudis, faute d’entretien. Dans le faubourg Saint-Laurent, outre le manque de logement, les espaces sont restreints et surpeuplés, plusieurs sont dépourvus des commodités de base telles que l’accès à une toilette privée ou à de l’eau chaude, sans parler de la vermine qui infeste souvent les lieux que l’on peut aisément qualifier d’insalubres. Il apparaît alors évident qu’une intervention sociale est essentielle et souhaitable.
Le gouvernement de Makenzie-King adopte la Loi nationale sur l’habitation, qui octroie un soutien financier aux villes et qui vise aussi à créer de l’emploi dans cette période d’après-guerre. L’intervention de l’État se fait alors par la construction de logements à bas loyer.
Création de la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL).
Le gouvernement fédéral admet l’idée du logement public et s’ouvre à l’élaboration de projets fédéraux-provinciaux de logements subventionnés.
1950 | 1957
Le Plan
L’économie est florissante, c’est le boom d’après-guerre, caractérisé par une forte croissance démographique et l’industrie redémarre partout. Le centre-ville se veut alors un endroit de prédilection pour le développement de commerces et d’édifices à bureaux. Or, cet espace est habité au maximum de sa capacité : des familles, des travailleurs, des chômeurs, des retraités… une panoplie de ménages dont il faut tenir compte et pour lesquels ce quartier tant convoité est un milieu de vie, le leur. Débute alors une série d’affrontements entre différentes instances, principalement politiques, un débat qui oppose des motivations économiques justifiées à des principes sociaux tout aussi légitimes.
Le 30 mars, le conseil municipal de la Cité de Montréal autorise un emprunt de 1,5 million de dollars pour l’élimination de logements jugés insalubres.
Le 26 novembre, le Comité des 55, composé de cinquante-cinq associations caritatives, religieuses et syndicales, conjointement avec le comité exécutif de la Ville, présidé par le conseiller municipal Paul Dozois, travaille à l’élaboration d’un projet visant l’élimination des taudis et la construction de logements à bas loyer à Montréal.
Le 12 mai, le Comité des 55 identifie le secteur de la « Main » et produit un rapport présentant des arguments sociaux et économiques de même que des solutions concrètes. Il s’agit du rapport Dozois.
La mission première de ce comité consultatif consiste à « saisir dans des termes objectifs le problème du logement » et démontrer qu’un projet ambitieux et financièrement réaliste est possible. Le rapport ne propose pas de réduire le nombre d’habitants au centre, mais d’améliorer leurs conditions de vie et la qualité générale de la trame urbaine. Le secteur choisi est alors une plaque tournante de la prostitution à Montréal. On y trouve une des concentrations de « maisons closes » les plus élevées de la ville, ce qui entraîne une suractivité policière. Le rapport laisse entendre qu’en rénovant l’espace d’habitation, la vie sociale s’en trouvera améliorée, qu’avec un habitat ensoleillé, aéré, entouré de verdure et doté d’équipements sanitaires modernes, les mœurs y seront plus civilisées.
Le 17 septembre, dépôt du plan Dozois, le rapport bonifié par des réaménagements.
Le 11 avril, un projet modifié, le rapport Field-Dozois, est finalement accepté par le comité exécutif de la Ville.
Paul Dozois, une fois ministre, impose alors à la Ville de Montréal la démolition du quartier et sa reconstruction, sous forme de logements sociaux. Ce furent les premiers logements sociaux au Québec. Le coût d’acquisition et de démolition du secteur fut de 7 500 000 $.
Le 15 janvier, la Cité de Montréal crée l’Office municipal de l’habitat salubre dont le mandat est l’élimination de taudis et la construction d’habitations salubres à Montréal. Cela ouvre la voie et permet la réalisation des Habitations Jeanne-Mance. Le 16 mai de la même année, la Ville prend possession du secteur et les premières démolitions débutent quelques semaines plus tard.
1958 | 2004
Les Habitations Jeanne-Mance
Le 16 juin 1958, la Corporation d’habitation Jeanne-Mance (CHJM) voit le jour.
L’Association Sociale Sportive Jeanne-Mance voit le jour pour devenir, dix ans plus tard, les Loisirs St-Jacques (maintenant Go Jeunesse) et permet la tenue de plusieurs activités pour les résidentes et résidents du quartier.
Le 15 octobre, les premières familles emménagent, c’est l’inauguration officielle des Habitations Jeanne-Mance et la CHJM se voit confier la gestion des terrains et des immeubles nouvellement construits. Les coûts de construction s’élèvent à plus de 10 millions de dollars financés à 75 % par le gouvernement fédéral (Société canadienne d’hypothèques et de logement) et à 25 % par la Cité de Montréal, tandis que le gouvernement provincial a contribué pour un montant de 1 million de dollars. Il s’agit du premier et du plus grand projet de rénovation urbaine au Québec. Au total, il aura fallu huit ans pour que celui-ci se réalise. Au moment de leur réalisation, les HJM sont un modèle de modernité : structuré en cinq îlots résidentiels, le site accueille cinq tours, quatorze multiplex en rangées et cinquante maisons de ville.
L’arrivée graduelle des premiers résidents se fait d’abord aux immeubles suivants : 100, rue Ontario Est, au 100, boulevard De Maisonneuve Est dont la rue portait alors le nom « De Montigny », au 1530 et 1540 rue Sanguinet, au 144 et 154 rue Ontario Est ainsi qu’au 166, 176 et 186 boulevard De Maisonneuve Est.
En mai, tous les logements sont complétés et occupés. Ils sont destinés aux familles puisqu’à cette époque, les aînés demeuraient au sein de leurs familles.
Quatre sœurs de la Congrégation des Petites Sœurs de L’Assomption, animées par le désir d’offrir du soutien à domicile aux résidents du site, s’installent dans la tour du 250, rue Ontario des Habitations Jeanne-Mance. En tant qu’auxiliaires familiales, infirmières et travailleuses communautaires, elles participent au développement de plusieurs projets communautaires tels qu’un service d’infirmière à domicile, la création de l’Association des locataires des Habitations Jeanne-Mance et la mise sur pied d’un comité emploi pour les résidents. Elles quitteront progressivement les HJM jusqu’au départ de la dernière d’entre elles, Berthe Marcotte, en 2016.
Les Frères des Écoles chrétiennes et la Congrégation de Notre-Dame oeuvrent pour l’éducation des jeunes du Quartier latin. Ils s’impliquent tant au niveau alimentaire que pour la mise sur pied d’activités permettant de prévenir la délinquance.
À cette époque, 2598 résidents habitent le site, dont 1022 enfants. Un véritable milieu de vie s’organise. Les « mères de familles » ont accès à des cours de cuisine, de couture, aux services d’une clinique médicale et à une garderie.
Création de l’Association des locataires des Habitations Jeanne-Mance qui a pour objectif d’améliorer la qualité de vie des résidents et de porter leur voix auprès de la direction de la CHJM. Au cours de son existence, l’association s’est mobilisée autour de plusieurs enjeux : en lutte contre la pauvreté, la hausse des loyers en HLM, les coupures de la sécurité de revenu. Elle mènera aussi plusieurs dossiers : la mise sur pied de cours d’alphabétisation et de francisation, de politiques de stationnement et de relogement, l’installation d’un feu de circulation à l’angle du boulevard de Maisonneuve et de l’avenue Hôtel de ville, le libre accès aux resserres, une meilleure accessibilité aux salles de lavage des bâtiments multiplex et l’identification améliorée des numéros d’immeubles.
Aménagement de salles communautaires dans 4 tours. Au moment de sa construction, la tour érigée dans le prolongement de l’allée de l’Hôtel-de-Ville offrait un passage piétonnier extérieur traversant le bâtiment de part et d’autre. Avec le temps, ce passage a été obstrué et on y trouve maintenant une salle communautaire. Ainsi, même si les travaux de réaménagement effectués entre 1986 et 1990 ont modifié certains éléments d’origine du site, plusieurs arbres matures le dominent de façon grandiose aujourd’hui, celui-ci étant d’ailleurs considéré comme un îlot de fraîcheur au centre-ville.
Création du comité dont la mission est de développer des emplois de proximité dans une perspective de développement local et permettre ainsi à la communauté d’améliorer sa qualité de vie et de participer à la revitalisation du quartier. Afin d’exercer pleinement leur citoyenneté, les locataires des HJM, issus de communautés culturelles diverses, entament une mobilisation commune visant un retour à l’emploi, la persévérance scolaire, le développement de leurs compétences et de leur estime de soi. Depuis 2006, le comité est davantage axé sur la dispensation de services personnalisés en emploi et en formation.
Première fête interculturelle rassemblant chanteurs, musiciens et danseurs de divers pays qui devient un événement annuel très attendu au cours des années qui suivent.
2004 à aujourd'hui
Vers la modernité
Début du programme RAM (Remplacement, amélioration et modernisation). Afin de maintenir la pérennité du site, la CHJM entreprend un vaste programme de modernisation des bâtiments.
Les Habitations Jeanne-Mance célèbrent leur 50e anniversaire. L’organisation de plusieurs festivités et événements dignes d’intérêt a permis à tous les résidentes et résidents de faire connaître ce milieu de vie exceptionnel.
Début du programme de modernisation des logements: travaux de rénovation des 788 logements de la CHJM. La réalisation de ces travaux est rendue possible grâce à la participation de la Société canadienne d’hypothèques et de logement et de la Ville de Montréal.
À l’occasion du 375e anniversaire de Montréal et du 150e anniversaire du Canada, les partenaires conviennent de célébrer les grands personnages du début de la colonie de Ville-Marie : Jeanne Mance, bien sûr, Paul Chomedey de Maisonneuve et Angélique Faure de Bullion, dont deux rues qui traversent le site ont pris les noms, Marguerite Bourgeois que les enfants connaissent en tant qu’école primaire du quartier. Les principaux personnages du début de la colonisation française à Montréal ont accompagné les festivités.
Les Habitations Jeanne-Mance, c’est un petit village attachant au cœur même d’un quartier qui, habilement, nous amène à porter un regard différent sur le monde. C’est une mosaïque culturelle représentant environ 70 pays, aussi vivante qu’unique au cœur du centre-ville de Montréal.
Plus d'information historique sur les HJM
Une recherche effectuée grâce à Joanne Burgess, professeure d’histoire à l’UQAM, a donné lieu à la brochure Terre d’accueil qui a également servi d’inspiration pour la présente rubrique historique du site.
Les Habitations Jeanne-Mance, Marc H. Choko, éditions Saint-Martin, 1er août 1995